En voilà une bien jolie maman se dit Julien en rentrant dans la rame de métro. Sur le strapontin du fond, une jeune femme au charme discret se penche au-dessus d’une poussette, tout sourire. Pas de bijou, pas de maquillage, un simple chemisier léger et une jupe pastel. Très féminine. Quelque chose dans la douceur de son sourire, la grâce de ses mouvements. Il n’y a plus de places assises, Julien va s’adosser à la porte opposée du métro, entre les strapontins. D’ici il pourra observer le bambin et sa jolie maman. Il aime bien les bébés et cette façon candide qu’ils ont de sourire à n’importe quel inconnu en échange d’une simple grimace.
Mais dans la poussette, il ne trouve qu’une poupée. Un bébé en plastique qui fixe le plafond avec des yeux bleus vitreux, une expression béate moulée à la chaîne dans une usine chinoise. Sa « mère » l’observe avec tendresse et caresse le plastique rosé de ses joues du revers de la main avant de jeter un coup d’œil discret à Julien. Elle est belle. Elle rayonne. Cette femme est folle à lier, mais elle irradie d’une beauté qui lui crève le cœur. Alors il lui rend son sourire et fait mine de s’intéresser au « bébé ». Il sourit au jouet et fait quelques signes de la main, comme pour attirer son attention. Il se trouve un peu idiot de jouer à la poupée dans le seul but d’attirer l’attention de cette femme dérangée. Lui, un jeune homme si raisonnable d'habitude. Soudain, il réalise que la poupée le suit des yeux. Son sang se glace d’effroi. Le jouet plastique ne le quitte plus du regard, suivant le moindre de ses déplacements. Julien fait instinctivement quelques pas en arrière et vient buter dans la porte derrière lui. Les deux billes de plastique bleues ne perdent pas une miette du spectacle.
- "Allons, ne fixe pas le monsieur comme ça Elvis, ça ne se fait pas !" le gronde sévèrement sa mère en lui tapant violemment sur les doigts. La poupée ne bronche pas, les yeux toujours rivés sur lui. La femme se rapproche de Julien et pose sa main sur son avant-bras.
- "Excusez-le monsieur… Il n’est pas comme ça d’habitude. J’ai l’impression qu’il vous apprécie beaucoup." Sa voix est suave et chantante. Sa main est chaude, douce, rassurante. Le contact de leurs peaux se prolonge. Un peu trop longtemps pour de simples inconnus. Au bout d’un temps qui semble une éternité, elle laisse doucement glisser sa main sur son bras jusqu’à ce que leurs doigts se touchent. Les yeux verts de la jeune maman sont plongés dans les siens. Le cœur du jeune homme bat fort, c’en est presque douloureux. Il est très mal à l’aise, mais cette femme remue quelque chose en lui qu’il ne comprend pas. Une sensualité féroce. Peut-être ses seins nus qu’il devine sous le tissu léger. Ses jambes finement galbées. La façon dont le tissu mou de sa jupe ne cesse de remonter sur ses cuisses. Il finit par craquer et détourne les yeux tandis que la femme retourne s’asseoir. Dans la rame, tout le monde le fixe. Des regards mauvais, inquisiteurs. Une sueur froide parcourt son échine. Il n’a rien demandé à personne, mais ce matin, le sort semble vouloir s’acharner contre lui. Le métro s’arrête. Buzenval. Personne ne rentre, personne ne sort. Encore une station et il pourra sortir de cette rame. La sonnerie retentit et le métro repart. Fermant les yeux, il prend une longue inspiration. Plus qu'une station…
Lorsqu’il ouvre à nouveau les yeux, le baigneur en plastique est toujours là, à le fixer. Une poupée grossière à la peau rosée, une petite bouche perpétuellement entrouverte dans un rictus malsain. Impossible que ces yeux le suivent réellement. Il doit être trop fatigué. Il s'imagine des choses. Mais quand le jouet tente de jaillir hors de son lit, Julien manque de hurler. Son dos vient heurter violemment la porte du métro. Le bébé se met à mouliner furieusement des bras et des jambes dans un chuintement plastique. Les sangles de la poussette le retiennent. Sa petite bouche continue de sourire, ses yeux ne lâchent pas leur cible. Aucun son ne s’échappe de lui. La chose se débat frénétiquement, battant des pieds et des mains dans tous les sens dans un silence de mort. Dans la rame, personne ne semble rien remarquer d’inhabituel. Chacun lit son journal, écoute de la musique, regarde les parois défiler. Les gens agissent comme si de rien n’était.
- "Alors tu as faim mon petit ?" demande la jeune femme depuis son strapontin.
- "Maman va te donner à manger." Lentement, elle déboutonne son chemisier. Le tissu glisse sur sa peau d’albâtre pour laisser apparaître deux seins pleins et tendus. Par pur réflexe pudique, Julien tente de détourner les yeux, mais son corps ne lui répond plus. Aucun muscle ne réagit. La panique l’envahit tout à fait. Il veut crier, mais il n’y arrive pas. D’une main, la femme détache le baigneur furieux et l’amène contre sa poitrine. Incapable d'émettre le moindre son, le corps paralysé, il regarde la scène, impuissant. Le bébé se met à téter goulûment, pressant le sein des ses deux bras plastiques, sans jamais quitter Julien du regard. La mère aussi le regarde. Il y a quelque chose de lascif dans son expression. D’une main elle appuie la tête du baigneur contre sa poitrine. Son autre main glisse délicatement sous sa ceinture, s’insinuant lentement. Doucement, ses jambes s’écartent, faisant remonter sa jupe au ras des cuisses. Sa main s’active sous le tissu dans un bruit humide. Le jouet continue de téter avec force, laissant échapper un filet de liquide noir et épais à la commissure de ses lèvres. La jeune femme ferme les yeux. Ses lèvres s’entrouvrent dans un murmure plein d’extase tandis que les mouvements de sa main s’intensifient sous la jupe. Le baigneur a fini de téter et regarde Julien avec contentement. Son petit corps rose en plastique est barbouillé du liquide noirâtre qui continue de s’échapper en un flot régulier du sein tuméfié de sa mère.
Julien n’arrive pas à se réveiller. Il a beau savoir que tout ça n’est qu’un horrible cauchemar, il est incapable de se sortir de ce rêve. Le métro ne semble jamais vouloir s’arrêter de rouler. La nuit ne fait que commencer.
2 commentaires:
J'aime beaucoup ce genre de texte, dérangeant et avec un côté malsain.
Le personnage principal, pris au piège de son corps qui refuse de réagir et de son esprit qui refuse de se réveiller, assiste impuissant, avec une envie/répulsion et un côté voyeurisme glauque (glauque pour le bébé plastique vivant) à la scène. L'identification est très bonne, car le lecteur est dans la même position que ce personnage principal.
Du coup, et c'est ce que j'ai ressenti, le lecteur accélère sa lecture, happé par la trame scénaristique mais aussi avec une envie d'en finir avec cette histoire.
Ce texte dérange, je trouve, et réussir à faire ressentir cela est pour moi signe d'un très bon texte, tout simplement.
Valérian merci beaucoup pour cette critique très constructive. Alors mon exercice de style a fonctionné pour toi enj tout cas et j'en suis très fier. ^__^
Enregistrer un commentaire